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Scénarios spéculatifs pour un projet artistique interactif


Close Encounters, installation de pulp.noir en réalité virtuelle

10.11.24 – fin avril 2025, Zurich, Winterthur, Bâle, Berne, Baden

 


Quel avenir pour une société polarisée ?


Alors que l'issue des élections américaines reste incertaine, une chose semble déjà sûre : la présidentielle américaine de 2024 – et Trump en particulier – aura encore exacerbé les tensions et la polarisation de la société américaine. Ce phénomène s'observe aussi en Europe, particulièrement ces dernières années. Dans le même temps, une étude de Denise Traber et al. (2023) conclut qu'en Suisse, la polarisation n'a pas augmenté entre 1993 et 2016.


Qu'en est-il donc exactement ? Et comment se rencontrer aujourd'hui et se comprendre au-delà des différences ?


Telles sont les questions à l’origine de 'Close Encounters,' une installation immersive en réalité virtuelle à découvrir dès le 10 décembre à Zurich, puis à Winterthur, Bâle, Berne et Baden. 'Close Encounters' du collectif pulp.noir combine théâtre, danse, musique avec les contributions de cinq expert.e.s, dont Denise Traber et moi-même.


Pour cette installation, j'ai imaginé quatre futurs spéculatifs à l'horizon 2050 environ, racontés à chaque fois par un ou une témoin du futur.


@ pulp.noir


Loin de vouloir prédire le futur, le but ici est de stimuler la réflexion sur l'avenir en ouvrant l'horizon des possibles (spéculation), ceci afin ensuite de jeter un regard différent sur le présent, ses challenges et ses opportunités.


Pour ce faire, chaque scénario est le produit d’une spéculation différente sur les origines potentielles de cette supposée polarisation, à savoir :

  • Les réseaux sociaux et autres moyens de communication digitaux

  • Une détérioration des conditions de vie, notamment en raison de la crise climatique et environnementale

  • Une résurgence des inégalités, notamment de genre

  • Une exacerbation des différences en l'absence d'une vision – ou d'un ennemi – communs


Découvrez ci-dessous ces quatre scénarios spéculatifs.



***



Un monde en déclin



Aujourd’hui, le climat est devenu encore un peu plus instable, de sorte que souvent nous n'osons plus vraiment sortir spontanément pour plusieurs heures à l'extérieur, en particulier durant l’entre-saison.



Certainement que les techniques de géo-ingénierie solaire y sont pour quelque chose. Malgré une forte réprobation internationale, elles sont maintenant utilisées dans certaines régions du monde, occasionnant parfois des conflits armés. Chez nous, pour les travailleurs et travailleuses qui doivent se déplacer pour aller au travail ou travailler en extérieur, c'est devenu un véritable enjeu saisonnier.


L’indice de vitalité socio-économique (IVS) (qui a remplacé le PIB) a baissé face à l’augmentation de la crise climatique et environnementale. Cette dernière a elle-même engendré des dépenses en matière de prévention et réparation toujours plus importantes, réduisant ainsi les investissements destinés à une transition durable. Un cercle vicieux.


« Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que ça fait de vivre dans un monde en déclin. On vit à la maison, dans son quartier, et online, pour la plupart du temps. On troque, on échange, on loue, on répare, on achète en seconde main, et tout cela nous prend beaucoup de temps. »


Les gens ressentent une diminution de leur sécurité et ressources financières ainsi que de la continuité des valeurs, des institutions, et des processus sociopolitiques. Plus de sécurité du travail dans un nombre croissant de secteurs, plus de véritable médecine publique de pointe (même s’ils disent le contraire), plus de course à la nouvelle app smartalk (ndr : oreillette de conversation et app IA qui a remplacé les smartphones).


Il en résulte une diminution de la sécurité psychologique, une moindre tolérance au changement et à l'incertitude et, par conséquent, une augmentation des positions idéologiques. Les gens ont des opinions de plus en plus figées. Les socials (ndr : les réseaux sociaux) sont plein de commentaires haineux.


« Cette détérioration des conditions socio-économiques favorise les extrémismes en tous genre et notamment les positions ethno-nationalistes, entraînant une polarisation accrue entre étrangers et Suisses. Mais le véritable problème réside dans les conditions de vie et la confiance en l'avenir. »


La situation est difficile et le seul point positif est que la consommation a diminué, et en général, on se concentre un peu moins sur la propriété et la possession. Des cercles de voisinage se sont aussi formés. Une solidarité timide commence à se manifester.



 

La « bonne parole » de l'IA



Aujourd'hui, toute déclaration publique faite sans preuve à l’appui peut être considérée comme de la désinformation, et faire l'objet de poursuites judiciaires.

 


Les États ont repris le contrôle des réseaux sociaux et de la désinformation après avoir ont été chargés d’édicter les critères de modération des échanges online. On est revenu à un 'politiquement correct' moraliste et certains regrettent les débats enflammés d’antan qui, avec le recul, sont parfois considérés comme synonyme de liberté d'expression.


« Les débats publics sont devenus des joutes entre IA, dégoulinantes de bienveillance et de considérations régénératives (ndr : écologiques). »


A présent, nous n’avons plus très envie de discuter et d’argumenter les uns avec les autres, car nous craignons de nous exprimer sans vérification préalable. Les conversations spontanées ont disparu, remplacées par des échanges prudents et formatés, qui brillent par leur consensualité et leurs platitudes.


« Qui aujourd'hui oserait encore présenter spontanément un argument non certifié dans une conversation ? Presque personne, car qui voudrait se voir réfuté ou traduit en justice par une IA ? »


C'est pourquoi nos assistants IA « parlent » entre eux à notre place. Les décisions personnelles et politiques sont déléguées aux IA, qui proposent des choix "optimaux" basées sur la « bonne parole » autorisée. Si je veux flirter, j'envoie ma love-IA sur des applications de rencontre pour discuter avec les IA de partenaires potentiels, si je ne sais pour qui voter, je demande à mon IA de parcourir les médias et de revenir avec une opinion de vote.


« Comme mon IA est façonnée en fonction de mes propres intérêts et opinions, je peux être sûr que l'opinion avec laquelle elle revient est celle que je défendrais. De toute façon, je suis bien obligé de lui faire confiance, car elle seule peut à la fois décrypter le code digital qui certifie l'authenticité des informations et me proposer un choix "optimal" basé sur un plus grand nombre de données que je ne pourrai jamais en consulter moi-même. »

 

La plupart d’entre nous vit de son IA qui se charge de « travailler » pour nous sur le marché quotidien du savoir. Elles se font rémunérer en échanges de savoirs banals ou plus recherchés qu’elles ont acquises à notre contact, on appelle ça nos « spécialisations ». Une recette de cuisine ou autre instruction de bricolage s’achètent quelques micro centimes des millions de fois tandis qu’une IA de comptabilité spécialisée dans la construction atteint quelques centimes revendus quelques dizaine milliers de fois. En gros, la gig economy de l’échange de données personnelles.

 

« Certains disent que nous vivons des rentes de nos savoirs acquis, sans pourtant en produire de nouveaux. Il est vrai que de véritables innovations ont du mal à s'imposer sous ce régime contraignant, qui rend difficile le partage d'idées et de spéculations. »


Seules les expressions non conformistes dans le domaine artistique sont encore tolérées, ce qui témoigne du peu de valeur et de soutien accordé à l'art. La conséquence en est – entre autres – l'émergence d'un art d'extrême droite.

 

La société s'est murée dans le silence et le conformisme, mais des murmures de rébellion commencent à se faire entendre. Certains regrettent l'époque des débats passionnés, symboles d'une liberté perdue. A l'époque, les gens se disputaient beaucoup, mais au moins ils avaient un intérêt pour l'échange, l'argumentation et la contradiction. Et on pouvait parler librement. Il est temps que nous revenions au monde d’avant.



 

Maintenant, la grève !



Nous sommes à présent au onzième mois de l'année de la grève. Une bonne partie des femmes se sont mises en grève de la procréation au début de l'année et les statistiques des naissances ont depuis visiblement chuté, moins 43% de naissances ces deux derniers mois.

 

Une accélération rapide du changement social et technique a culminé dans un monde post-mondialisé et technocratique, suscitant des réactions contraires. Ceux prônant le maintien d'un status quo néolibéral et néo-patriarcal supposé plus viable ont accepté ces transformations tandis celles et ceux aspirant à un avenir LGBTIQ+ friendly et écologique supposé radieux les ont rejetées en bloc.


Dans ce contexte, les femmes font de moins en moins d'enfants (le taux de fécondité a chuté à moins d’un enfant par femme), qu'elles élèvent d'ailleurs souvent seules (40% des enfants) de sorte que 85 % du temps total de garde d'enfants est assuré par les femmes.


« Et voilà qu'une forte polarisation entre hommes et femmes s'est développée. »


Les hommes, marginalisés dans la sphère familiale, se sont repliés sur eux-mêmes, favorisant des attitudes conservatrices, voire extrémistes, ou alors une froideur toute technocratique. Les femmes se sont tournées vers l’écologie écosystémique et la valorisation du travail reproductif et de care, dans un mouvement qui vire parfois à une naïveté béate nageant dans les poncifs les plus bienveillants, ou alors à un activisme bio(-spirituel) quelque peu déconnecté des réalités.

 

« De fait, hommes et femmes vivent désormais de plus en plus dans des mondes séparés, en quelque sorte comme par le passé. »


Ceci se traduit par un écart entre les sexes de près de 50 % lors des votes et des élections. Des effets pervers apparaissent. Les femmes sont associées de manière générale au temps partiel et celui-ci a augmenté chez les femmes. La politique familiale des 10% de salaire supplémentaire par enfant encourage en effet l’offre de temps partiels faite aux femmes, notamment dans les métiers de soins et les métiers « féminins ».


« Toute une série de mesures, aux intentions bienveillantes, poussent les femmes à assumer (presque) entièrement l'éducation des enfants. Ne pas vouloir d'enfants est mal vu, sauf en cas de carrière, tandis que les hommes sont en majorité délestés de la garde des enfants et de l'éducation. »

 

Nous sommes à présent en grève. Les pouvoirs publics accusent les femmes de faire du chantage car leurs avantages sont déjà massifs – mais les femmes tiennent bon. On a l’impression que le mouvement pourrait s’élargir à la grève du sexe.



 

A nouveau ensemble, mais différemment



Nous sommes à nouveau réunis. Nous sommes enfin à nouveau tous ensemble et là les uns pour les autres. Dans la rue, nous nous regardons les uns les autres et, et d’un seul regard, nous nous comprenons déjà.



L'autre jour j'ai discuté pour la première fois avec quelques « nazis ». C'était sympa, en fait.

 

« Tout à coup, c'était la guerre. Mais d'une manière différente. Ils ne pouvaient pas bombarder bien sûr, car les bombes auraient dû passer au-dessus de pays tiers. »


Alors ils ont essayé de pénétrer dans notre système énergétique. Ils n'y sont pas parvenus, mais certaines centrales électriques régionales ont dû être arrêtées, car elles ne pouvaient pas être sécurisées contre les cyber-attaques. Ils ont par contre réussi à pénétrer dans plusieurs autres systèmes. Nous avons subi à plusieurs reprises de longues pannes de téléphone et d'Internet, certaines villes n'avaient plus de feux de signalisation et les systèmes informatiques des chemins de fer ont été partiellement mis hors service.


Et ils avaient des mini-drones. Ils semblaient cartographier les infrastructures sensibles ou tout simplement entrer directement dans les bâtiments. De nombreux drones ont été détectés. Toujours au début. Puis plus rien. Il semblait que les drones communiquaient entre eux et parvenaient à se cacher. Peut-être que certains minidrones étaient déjà entrés dans les bâtiments eux-mêmes ?


C'était la guerre. Mais d'une manière différente.

L'économie a perdu 13%, l'État a dû s'endetter. C'était difficile.

 

Et puis, tout s'est peu à peu dissipé. D'abord les cyber-attaques. Ensuite, les drones, qui semblaient moins actifs. Surtout, il n'y avait plus de pannes informatiques en tous genres.

 

« Ça a été difficile. Mais maintenant, nous sommes enfin libres et à nouveau toutes et tous ensemble. Nous nous sentons fort.e.s ensemble, notamment en raison de l’élan de solidarité et du sentiment de communauté qui se sont manifestées pendant la guerre. »


Les coupures internet ont donné naissance aux « tables à la rue » que l'on connaît aujourd'hui, tandis que la récession économique a conduit à la renaissance des coopératives d'habitation et d'échange, des ateliers de réparation et des food coops.

 

« Aujourd'hui, nous n'avons plus besoin de beaucoup pour être heureux.

Nous nous contentons de peu. »



 

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